Qu'y a-t-il entre toi et moi?

Les évangiles rapportent que Marie s'adressa à Jésus en faveur des convives et des hôtes du mariage. Elle lui fit remarquer qu'il n'y avait plus de vin.

La réponse qu'il fit fut discutée et qualifiée de choquante par les exégètes et les commentateurs. Il s'adressa à elle en ces termes:

"Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi?" Jean 2:4

Certains ont tenté d'adoucir cette parole dans leurs commentaires. On s'est retrouvé sans voix devant cet apparent manque de dévotion filiale.

Une traduction stricte de l'hébraïque serait: "Quoi de toi à moi?"

A l'esprit de tous, ces paroles sont une façon de renier le lien matériel qui unit Jésus à Marie. Il ne reconnait pas le lien de parenté avec sa mère.

Et plus encore, il la relègue au rang d'inconnue, puisqu'il ajoute plus tard lorsqu'elle et ses frères demandent à le voir:

"Qui est ma mère? Qui sont mes frères? (...) voici ma mère et mes frères..." Marc 3:33

C'est du moins ce qu'entendrait un esprit dualiste, celui qui vit dans la notion de séparation. C'est aussi de cette façon que je lisais ce texte: une invitation, de la part du maitre, au détachement et à l'ascèse, en même temps qu'une négation des liens mondains et même naturels. C'est ainsi plus qu'à la société humaine qu'il tourne le dos; c'est à l'ordre naturel lui-même. Ce qui soit est une profession si intense qu'il déclare ne pas connaitre le monde manifesté mais seulement la lumière ineffable de Dieu; soit est une incohérence grandiose. Mais Jésus se souciait du monde et des hommes, puisqu'il leur apportait soins et réconfort.

Le sentiment de séparation, qui comprend en ces paroles un rejet, presque une offense, ne nait que du sentiment d'identification de l'égo, du je, avec le corps. C'est bien dans le corps que les notion de tu et je prennent place. Car en esprit, il n'est ni je ni tu. Ces considérations n'existent pas dans l'esprit, qui est un.

Jésus nous révèle que le sentiment de l'individualité n'est pas une réalité:

"En ce jour-là, vous connaitrez que je suis en mon père, que vous êtes en moi, et que je suis en vous." Jean 14:20

Egalement, ses dernières paroles sur la croix furent pour Marie et Jean: il les lia du lien immortel de maternité et de filiation.

" Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple: Voici ta mère."

Ces paroles dites en un moment si dramatique révèlent que, même aux yeux de Jésus, la relation filiale est d'une grande importance. Il ne la néglige pas, mais la célèbre.

Alors, si au lieu de comprendre cette phrase en un sens imagé, on lui restituait le sens premier. Si Jésus en disant: "Qu'il a-t-il de toi à moi?", n'évoquait pas un lien affectif inexistant, mais posait une question plus pragmatique et à un niveau beaucoup plus spirituel que ce qu'on en a compris? Il arrive que le matérialisme parle mieux des choses de l'esprit que les paroles romantiques et poétiques.

"Qu'y a-t-il entre toi et moi?" signifie simplement: Y a-t-il quelque chose entre toi et moi?

Pour qui recherche un lien émotionnel, cette question est terrifiante: s'il pose la question, c'est qu'il n'y a rien! Là, c'est la crainte de tout individu d'être abandonné, de n'être pas reconnu qui dirige les émotions.

Le dévot est choqué de cette question car si Jésus la pose à sa propre mère, à combien plus forte raison, le croyant qui n'a jamais rencontré le Christ devrait se la poser à lui-même? C'est une inquiétude humaine née dans la sphère émotionnelle, et transposée dans la sphère spirituelle.

Mais de façon pragmatique, et spirituelle, s'il n'y a rien entre toi et moi, c'est qu'il n'y a aucun obstacle entre toi et moi. Ni distance, ni séparation.

C'est ce que comprendrait une personne qui n'existe pas exclusivement par l'identification au corps. Car aux yeux de l'esprit, il n'est rien qui sépare personne. Rien ne se trouve entre l'esprit et l'esprit.

Ainsi se vérifie "Vous êtes en moi, et je suis en vous."

Puis il précise que ce rapport exceptionnel ne provient pas d'une familiarité génétique, ni ne se limite à un groupe défini. Il établit même cette considération à travers toute l'humanité. Il le montre en élargissant lorsqu'il affirme:

" Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole du Seigneur, et qui la mettent en pratique."